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ETRE FEMME EN CHINE ET EN FRANCE
2023/03/06

Cet article est écrit à l’occasion de la Fête de la femme du 8 mars .

Le poète français Racine disait qu’étudier un pays éloigné, son présent et son passé, permet de faire des comparaisons, de voir les problèmes qui sont les mêmes ou ceux qui diffèrent, et de trouver des solutions. Etant  français et juriste, je voudrais essayer de comparer l’évolution de la condition des femmes en Chine et en France, qui comporte de nombreux points communs.

Fête des Femmes et Fête des Hommes

En Chine, la journée internationale de la femme a été officiellement instituée au sein du parti communiste depuis 1921 et est devenue une fête nationale officielle en 1949. Les femmes qui travaillent ont une demi-journée de congé, les employeurs leur font des cadeaux. Les magasins leur font des remises spéciales.

En France, pour la Fête des femmes, il n’y a pas comme en Chine de jours de congé, pas de prix spéciaux dans les magasins, mais des articles dans la presse, des manifestations artistiques. Et aussi des campagnes de sensibilisation dans les écoles. Le Code de l’éducation impose la transmission des valeurs égalitaires dans les écoles dès l’enfance.

Le soin apporté au sort des femmes est une caractéristique des régimes socialistes.

En Russie, le 8 mars, les hommes doivent faire des cadeaux aux femmes. Ils achètent le plus souvent des tulipes et des roses. Mais en Russie la fête des femmes est précédée, chaque 23 février de la fête des hommes. Les femmes félicitent les hommes et leur font des cadeaux. Les hommes veulent en général recevoir des cadeaux utiles : vêtements, cosmétiques, mousse à raser. Le nom officieux de cette fête est : « La journée de la mousse à raser ». Ces fêtes existaient aussi en Ukraine, mais elles ont été abolies depuis que l’Ukraine a choisi de s’opposer à la Russie et de devenir l’alliée des Occidentaux.

En France:un passé inégalitaire

Dans un passé lointain, en France comme en Chine, la femme était d’un statut très inférieur à celui de l’homme. La plupart des coutumes françaises, avant la Révolution, traitaient les femmes de manière très inégalitaire. Comme en Chine, les mariages arrangés par les parents étaient la règle générale. Au XIXe siècle en France, le triomphe de la bourgeoisie établit des règles très inégalitaires en ce qui concerne la femme.

Nous sommes en 1892. En Chine, c’est encore le régime impérial. Jeanne Chauvin est une jeune femme de 30 ans Elle s’apprête à soutenir sa thèse d’histoire du droit intitulée : Étude historique sur les professions accessibles aux femmes. Elle écrit que l’inégalité juridique entre les hommes et les femmes trouve sa source dans la religion catholique. Elle revendique l’égalité entre les filles et les garçons dans l’éducation et un égal accès pour les deux sexes à toutes les professions, privées et publiques. Mais cette thèse ne correspond pas aux idées de l’époque. La femme mariée est une éternelle mineure. Elle doit attendre que son mari meure pour redevenir capable sur le plan juridique. Car exception faite du règne de Napoléon, pendant le XIXe siècle, le divorce est impossible jusqu’en 1884. Et une femme bourgeoise, au XIXe siècle ne doit jamais sortir de sa maison sans être accompagnée par un homme. Ses occupations  sont essentiellement de rester à la maison et de s’occuper des enfants et de son mari.

Au début du XXe siècle, une loi de 1916 reconnaît à la femme mariée le droit d’exercer une profession sauf opposition de son mari ; elle peut disposer de ce qu’elle gagne. En 1938, sous un gouvernement socialiste, les femmes peuvent s’inscrire à l’université sans l’autorisation de leur mari. En 1944 elles obtiennent le droit de vote et d’éligibilité grâce au général De Gaulle, un ami de la Chine. En 1946, le principe d’égalité entre les hommes et les femmes dans tous les domaines est inscrit dans le préambule de la Constitution : il s’applique à tous les Français. En 1970 une loi relative à l’autorité parentale conjointe supprime la notion de chef de famille du Code civil. En 1975, tous les établissements d’éducation doivent être mixtes. Plusieurs lois sont nécessaires rappelant l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, ce qui prouve que dans la pratique, elle n’existe pas encore. En 1966, les femmes peuvent exercer une profession sans le consentement de leur mari. En 2000, une loi tend à favoriser l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives. Elle se traduit par une nette progression des députés de sexe féminin à l’Assemblée Nationale. En 2004, une loi relative au divorce prévoit l’expulsion du mari violent afin de protéger leurs épouses. En effet, en France, tous les trois jours, une femme meurt sous les coups de son compagnon ou de son époux. En Chine, une loi de 2011 a reconnu comme telles les violences conjugales, et a permis aux femmes de se défendre en justice.

Dans les universités françaises il existe maintenant des services chargés de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations. Ils doivent répertorier et sanctionner les comportements incorrects envers les étudiantes, que ces comportements soient le fait des étudiants ou éventuellement des professeurs. Cela se traduit par des sanctions disciplinaires. Dans les cas graves, ce sont les tribunaux qui décident des sanctions. Le code pénal français punit de la même façon le viol et la tentative de viol. La peine pour le viol est en général d’une dizaine d’années de prison.


Le gouvernement chinois a fait de gros efforts pour empêcher l’exploitation des femmes dans le domaine éducatif. En novembre 2020, le ministère de l’éducation chinois  publie un règlement interdisant aux tuteurs de troisième cycle d’avoir des relations incorrectes avec les étudiants et les étudiantes.

En Chine : la libération de la femme par les communistes

 « Qu’il est triste d’être une femme ! Qui ou quoi sur terre est aussi méprisé ? Les garçons se prélassent au seuil des maisons comme des dieux descendus du ciel personne ne se réjouit quand naît une fille : sa famille n’y trouve aucune source de joie ».

Ce poème de Fu Hsuan, qui vivait au troisième siècle de notre ère, résume bien toutes les malédictions qui pesaient sur les femmes dans la Chine ancienne. On répétait aux jeunes filles que les préférences personnelles ne devaient pas avoir de part à la conclusion des mariages, et que l’amour conjugal est souvent un principe de division et de discorde.

Les choses ont commencé à changer avec le régime communiste. De même en France, la Révolution a donné des droits très importants aux femmes dés 1791 : le droit de divorcer, l’égalité successorale entre les filles et les garçons. Et surtout, le mariage devient le fruit du libre consentement entre les futurs époux : plus de mariages arrangés par les familles.

Mao dans sa jeunesse était féministe. Il écrit des articles sur les femmes après avoir fait des enquêtes chez les paysans. Il dénonce le pouvoir marital des hommes sur leurs épouses et se réjouit de son affaiblissement.

En 1931, il établit des bases communistes dans plusieurs provinces chinoises. Le 1er décembre 1931, il fait promulguer un Règlement sur le mariage : le mariage doit devenir purement consensualiste ; en cas de divorce, il faut se soucier des intérêts de la femme. En 1950, c’est la loi sur le mariage:

« Est abrogé le système matrimonial féodal, arbitraire et impératif, basé sur la supériorité de l’homme sur la femme et indifférent aux intérêts des enfants. Sera mis en application le système matrimonial de la démocratie nouvelle, basé sur la liberté pour l’homme et pour la femme de se choisir comme conjoint, sur la monogamie, sur l’égalité des droits entre les sexes et sur la protection des intérêts légitimes de la femme et des enfants ».

Afin d’éviter la polygamie, tout candidat au mariage doit faire la preuve de son état de célibat par des témoignages. Les mariages doivent être enregistrés, ce qui prouve qu’ils ont été conclus suivants les nouvelles règles.

À la différence des dirigeants nationalistes, les communistes ne parlent plus de « sexe féminin » (nüxing). En effet, le caractère pris isolément signifie le sexe, ce qui est gênant. On invente un nouveau terme : funü, qui prend en compte les fonctions sociales de la femme et désigne à la fois l’épouse et la petite fille. Il sera utilisé par tous les services administratifs qui ont en charge les questions féminines, mais sera relativement peu employé dans la vie quotidienne. Les femmes sont désormais des travailleuses, gongren ; pour leurs voisins, elles sont des camarades, tongzhi, à la mode soviétique. Il n’est plus question de Madame, lao tai-tai, Mademoiselle, Xiaojie, Monsieur, lao taiyie.

En 1980, la seconde loi sur le mariage rappelle l’égalité entre époux ; en 1982 la Constitution est amendée dans le sens du droit des femmes à participer aux prises de décisions politiques économiques et familiales. Son article 48 stipule que les femmes ont « les mêmes droits que les hommes dans tous les domaines de la vie politique, économique, culturelle et sociale, incluant la vie familiale ». En 1985, loi sur les successions : les femmes obtiennent des droits égaux avec les hommes en termes d’héritage.  En 1995 s’est tenue à Beijing la quatrième Conférence mondiale sur les femmes. En 2001, la seconde loi sur le mariage est amendée dans le sens de l’interdiction légale de la bigamie et de la violence domestique.

On note également que les tribunaux chinois rendent des décisions favorables aux femmes.

Des jurisprudences favorables aux femmes

Le 22 février 2021, le tribunal populaire du district de Fangshan à Pékin a condamné un homme à indemniser son ex-épouse pour compenser le travail domestique que celle-ci avait effectué au sein du foyer durant leur vie commune, ce qui a suscité de nombreux débats. En 2015, M. Chen et Mme Wang se sont mariés et ont donné naissance à un fils. Trois ans plus tard, le couple s’est séparé. L’enfant vit avec Mme Wang depuis novembre 2018. En 2020, le divorce a été prononcé, au bénéfice de Mme Wang : le tribunal a condamné M. Chen à lui verser une pension alimentaire de 2 000 yuans par mois ainsi que la somme de 50 000 yuans en compensation des tâches ménagères qu’elle a effectuées pendant leur vie commune. C’est le premier jugement rendu dans ce type d’affaire depuis l’adoption, le 1er janvier 2021, d’une loi exigeant que l’ex-conjoint compense les années de travail domestique accompli par son partenaire. Pour certains internautes, la somme que Chen a été condamné à verser est excessive ; pour d’autres, elle est insuffisante.


En Chine, à la différence de la France, les procès sont souvent commentés sur Internet. Selon une étude de l’ONU, les femmes effectuent aujourd’hui encore, en moyenne dans le monde, deux fois et demie plus de tâches ménagères que les hommes. En Europe, l’inégalité de la répartition des tâches ménagères est forte : selon une enquête réalisée en 2019 par le pôle « Genre, sexualité et santé sexuelle » de l’ Institut français pour l’opinion publique, 73 % des Françaises estiment qu’elles en font davantage que leur partenaire. Les hommes refusent notamment de laver le linge, de nettoyer les WC ou encore de laver le sol.


En janvier 2014, pour la première fois, une jeune diplômée de 23 ans a réussi à obtenir un dédommagement de 30 000 yuans de la part de  la Juan Beijing Academy, une entreprise proposant des cours particuliers qui avait réservé ses propositions d’emploi aux hommes.

Mais comme dans tous les pays, il arrive que les mœurs résistent au droit.

La résistance des mœurs au droit en Chine et en France

On peut citer plusieurs exemples, dont certains datent d’une quarantaine d’années[1]. Commençons par le divorce.

Dans les années 1980, le divorce était rare en Chine, même s’il était possible depuis 1950. En 1983, 370 000 cas pour un milliard d’habitants. Il fallait y ajouter 200 000 divorces par consentement mutuel. Le divorce était mal vu : il fallait épuiser toutes les tentatives de médiation avant de s’y résoudre. La Chine prête tout particulièrement attention à son taux de divorce, qui a sensiblement augmenté depuis 2003, date à laquelle les divorces par consentement mutuel ont été légalisés. En France, le divorce par consentement mutuel date de 1975, et dans les cas les plus simples, on peut divorcer pour environ 180 €. En 2019,4 millions de divorces ont été enregistrés. En plus, en 2020, comme en France, les confinements ont exacerbé les tensions au sein des couples. En 2020 le nombre des divorces double et passe à 8,6 millions. Proportionnellement, c’est beaucoup moins qu’en France. Mais le Code civil chinois a instauré un délai de réflexion pour éviter les décisions de rupture trop rapides, ce qui semble raisonnable.

En France, le divorce a été possible depuis 1884. Mais jusqu’aux années 1960, divorcer était également très mal vu.

Quelques précisions d’ordre historique sont nécessaires. Pour des raisons religieuses, le divorce a été interdit jusqu’à la Révolution française. En 1791 il est autorisé de manière très libérale : on peut divorcer pour incompatibilité d’humeur. Napoléon restreint les cas de divorce : c’est le retour à l’ordre. Puis la royauté revient et jusqu’en 1884 on ne peut plus divorcer. Mais même à partir de 1884 très peu de Français divorçaient. Ce n’était pas dans les mœurs. Les divorces ne se sont généralisés qu’à partir des années 60. Actuellement, un couple sur deux se sépare. Et la moitié des habitants des grandes villes françaises vit de manière isolée : une seule personne par domicile.

Les lignes qui précèdent montrent donc des évolutions comparables en Chine et en France en ce qui concerne la condition féminine, même si parfois il existe des décalages dans le temps. Le sens de l’histoire est celui d’une libération de l’individu des contraintes familiales.

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( Norbert ROULAND, Professeur à La Faculté de droit d’Aix en Provence, France )



[1] Cf.  HUA CHANG MING et Jean Luc DOMENACH, Le mariage en Chine, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, Paris, 1987.HUA CHANG MING est spécialiste de l'histoire contemporaine de la Chine et travaillait au Centre de recherche et de documentation sur la Chine contemporaine de l'Ecole des hautes études en sciences sociales, à Paris. Jean-Luc Domenach est un sinologue français.


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