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Questions-réponses lors du dîner-débat organisé par l’Association de la presse diplomatique
2022/12/16

Le 7 décembre 2022, l’Ambassadeur de Chine en France LU Shaye a assisté au dîner-débat organisé par l’Association de la presse diplomatique. Voici la transcription des question-réponses :

Q : Monsieur l’Ambassadeur, on a constaté qu’en Chine il y avait des manifestations dans la rue contre la politique chinoise anti-COVID-19, pouvez-vous nous expliquer ce qui s’est passé exactement ?

R : Au début de l’épidémie, on fait savoir qu’il est apparu un nouveau virus en Chine qu’on a jamais rencontré. Le gouvernement chinois a tout de suite informé l’OMS. À partir de là, le gouvernement chinois a pris beaucoup de mesures pour contrôler et maîtriser ce virus, au point que le 23 janvier 2020, à savoir moins d’un mois après avoir signalé l’apparition du virus, le gouvernement chinois a décidé le confinement de toute la ville de Wuhan, une ville d’une population de 11 millions d’habitants, pour couper le circuit de contamination. La Chine a arrêté tous les transports aériens avec l’étranger. Grâce aux mesures très rigoureuses, heureusement deux mois après, elle a réussi à bien maîtriser l’épidémie. Plus précisément au milieu du mois d’avril, elle a complètement éradiqué l’épidémie. Il n’y avait aucun cas de coronavirus en Chine. Mais à ce temps-là, l’épidémie s’est éclatée dans d’autres parties du monde, y compris l’Europe et les États-Unis. La Chine doit prévenir l’importation des cas de contamination. Mais on ne peut pas fermer totalement le pays et nous avons encore des contacts et des liens aériens avec les autres pays. C’est pourquoi le gouvernement chinois a adopté une approche qui s’appelle « zéro COVID dynamique » . Une fois découvert un cas de contamination ou un cas d’importation, on prend des mesures pour l’anéantir. En 2020, il était relativement facile de faire ça, parce que les variants initiaux de ce coronavirus n’étaient pas si grave en termes de contagiosité. Il était facile de les trouver, dépister et éliminer. En 2021, c’était le même cas.

Pendant ces deux années, tout le monde est libre en Chine. La circulation était tout à fait libre, les gens faisaient du tourisme et pouvaient entrer librement dans les magasins et restaurants. Mais à l’extérieur de la Chine, c’était un autre paysage. Beaucoup de pays européens et même les États-Unis ont subi des confinements, y compris la France. Les restaurants ne peuvent pas s’ouvrir totalement. À côté de l’Ambassade, j’ai remarqué qu’un restaurant a été fermé pendant presque un an. Lorsque la population chinoise était libre pendant deux ans, à l’extérieur, le monde était fermé.

Pendant moins de trois ans, grâce à cette politique « zéro COVID dynamique » , la Chine n’a enregistré que quelque 5 235 morts issus de la COVID et 400 000 cas de contamination. C’est dans la partie continentale de la Chine, sans comprendre Taiwan, Hong Kong et Macao. Aujourd’hui il y a 8,4 millions de cas de contaminations et 14 000 morts à Taiwan. En même temps on peut voir qu’il y a plus d’un million de morts aux États-Unis et la population chinoise est 4,5 fois la population américaine.

Q : Pour ajouter une question justement sur ce qui s’est passé très récemment, on a entendu des cris politiques sensationnalistes, qui paraît vraiment quelque chose d’inconcevable dans la Chine aujourd’hui. Comment est-ce que les Chinois ont pu pousser ces cris ? Comment l’expliquez-vous ?

R : Je sais que vous vous intéressez seulement à ces slogans politiques.

Q :  Ils sont importants.

R : Je reviens tout de suite. Avec cette politique « zéro COVID dynamique », le gouvernement chinois a sauvé plus de 4 millions de vies. Sinon, il y aurait eu plus de 4 millions ou même 5 millions de morts, et il y aurait eu des centaines de millions de cas de contamination. Pourquoi la Chine a changé maintenant la politique « zéro COVID dynamique »? Parce que c’est déjà le variant Omicron dont la contagiosité est grande mais la dangerosité se diminue largement. Il n’y a pas grand danger pour la vie et la santé de la population chinoise. C’est pourquoi le 11 novembre, le gouvernement chinois a sorti vingt mesures pour assouplir la politique « zéro COVID dynamique » .

Malheureusement, des gouvernements locaux n’ont pas bien compris l’esprit du gouvernement central. Ils ont vu la montée rapide du nombre de cas de contamination, et ils sont pris au dépourvu et reviennent aux méthodes anciennes pour contrôler la situation. Ça a irrité un peu la population. La population des différentes provinces dit que, puisque le gouvernement central a sorti vingt mesures d’assouplissement des contrôles sanitaires, pourquoi vous resserrez encore ? C’est la cause des manifestations de la population dans les rues.

En Chine, la population a le droit d’exprimer son mécontentement et de porter ses plaintes. C’est normal. Le gouvernement peut savoir les souhaits et les aspirations de la population à travers ces manifestations. En Chine, nous préconisons toujours de placer le peuple par-dessus tout, c’est la primauté du peuple. Une fois que la population exprime son souhait, le gouvernement y répond tout de suite. Mais cette fois-ci, des forces antichinoises à l’extérieur du pays saisissent tout de suite cette occasion pour politiser l’événement. On voit clairement que cela a des effluves de la révolution de couleur qui a eu lieu fréquemment dans les pays en voie de développement ces dernières années. Je dis ça avec des preuves, parce qu’il y a des Chinois qui sont soudoyés par des forces extérieures.

Q : Qui?

R : Des personnes de l’extérieur.

Q : Vous pouvez être un peu plus précisé ?

R : Je ne peux pas vous le dire. Mais ce sont des forces antichinoises. Il y a des analyses sur les réseaux sociaux chinois. Les personnes qui sont manipulées et qui font du battage sur les réseaux sociaux sont même signalées. Par exemple, la manifestation avec une feuille blanche, c’est la révolution de couleur même si c’est blanche. Le blanc est aussi une couleur.

Q :  Les gens qui ont manifesté avec des feuilles blanches ont été soudoyés par les forces antichinoises, c’est ça que vous voulez dire ?

R : Oui, c’est sûr. Sinon une manifestation si ordinaire ne sera pas dotée d’un sens si grave. Je vois en France les médias rapportent ces manifestations en les exagérant. On dit que c’est un événement d’une envergure inouïe depuis 1989. C’est quoi ça ? Ça n’a rien à voir avec l’événement de 1989, mais on veut lier intentionnellement ces deux événements ensemble. Vous pouvez voir leurs motivations.

J’ai dit tout à l’heure que le gouvernement chinois s’attache toujours à la primauté du peuple. Une fois que la population a des aspirations et des souhaits, le gouvernement chinois y répond très rapidement. C’est pourquoi le gouvernement central donne des indications aux gouvernements locaux de bien suivre et appliquer les vingt mesures. Aujourd’hui, les autorités sanitaires du gouvernement central ont sorti encore 10 mesures pour expliquer plus précisément l’application de ces vingt mesures. Dans ce cas-là, les gouvernements locaux ont plus de certitude de les appliquer. C’est très bien accueilli par la population. Donc il n’y a plus de manifestations.

Ces manifestations, même si elles ne sont pas fomentées ou déclenchées par les forces antichinoises, sont utilisées par les forces extérieures. Parce que ces forces-là essaient toujours d’orienter le mouvement vers la politique. Comme j’ai dit dans mon discours, aucun pays n’est parfait, tous les gouvernements ont des imperfections. Pour nous, c’est le problème de corriger des imperfections. Mais pour ces forces extérieures, c’est de détruire le pays, de renverser le Parti communiste chinois. C’est différent sur le fond.

Q : Vous pensez quand même qu’il y en a une partie au départ qui a été spontanée et qui n’a pas été utilisée à usage politique, il y a quand même eu un ras le bol de la population par rapport à la COVID dans certaines zones ?

R : Au départ, la population exprimait simplement son mécontentement vis-à-vis des approches de certains gouvernements locaux qui n’ont pas appliqué intégralement et précisément les mesures du gouvernement central. Mais tout de suite, cette manifestation a été utilisée par les forces extérieures. Je pense que seulement pendant un jour, c’était de simples manifestations de la population. Le lendemain, il y avait des ingérences de l’extérieur.

Q : Vous parlez des forces extérieures, mais ce sont des pays ou des organisations constituées ? Qui est derrière et dans quel but ? On a du mal à comprendre comment, dans un pays aussi surveillé que la Chine, les forces étrangères peuvent intervenir.

R : Ces forces considèrent la Chine comme leur ennemi et leur rival stratégique principal. Vous avez utilisé le mot « surveiller », ce n’est pas surveiller, on se défend. Parce que nous savons qu’il y a des forces extérieures qui nous haïssent.

Q : Mais qui ?

R : Je ne dis pas qui. Ce sont des forces extérieures. Vous pouvez imaginer.

Q : Ce sont des Occidentaux, des forces liées aux États-Unis ? Des États, des entreprises ? Ou l’opposition chinoise de l’extérieur ?

R : Il y a des États, il y a des organisations. L’opposition chinoise n’est pas si importante, surtout à l’extérieur.

Q : Quel est le taux de vaccination en Chine ? Est-ce qu’il y a des vaccins à ARN messager en Chine ? Comment on se vaccine en Chine ? Avec quel vaccin ? Quelle est la couverture vaccinale ? Est-ce qu’il y a un début d’immunité collective ou pas du tout ?

R : En Chine, il y a des vaccins chinois à ARN messager. Ils sont même homologués en Indonésie à la veille du Sommet du G20 à Bali. Ce vaccin a été sorti plus tard que Pfizer et Moderna, donc il n’a pas l’occasion d’occuper le marché international.

Q : Est-il reconnu par l’OMS ?

R : Je ne sais pas. Nous avons une trentaine de catégories de vaccins sur cinq lignes scientifiques : vaccins à virus inactivé, vaccins à adénovirus, vaccins à protéine recombinante, vaccins à ARN messager et vaccins atténués à vecteur viral de la grippe. Nous avons même des vaccins inhalables. Au moins deux vaccins à virus inactivé ont été homologués par l’OMS depuis le début. Mais l’Europe ne les accepte pas. Puisque la Chine a des vaccins à ARN messager, nous n’avons pas besoin de ceux de l’Occident.

Le taux de vaccination à deux même à trois doses chez les adultes, à savoir de 18 à 60 ans, s’élève à plus de 90 %. Dans le groupe des personnes âgées de 60 à 79 ans, c’est un peu plus bas, à quelque 83 %. Mais pour le groupe des personnes âgées de plus de 80 ans, à seulement 65 %. C’est un taux relativement bas.

Q : Est-ce que cela résulte du choix qui a été fait de vacciner en premier les jeunes, choix qui était d’ailleurs contraire par rapport aux autres pays, notamment les pays occidentaux, qui ont choisi d’abord de vacciner les plus vulnérables et les plus âgés ? C’est pour préserver les jeunes pour qu’ils puissent contrinuer à travailler ?

R : Je pense qu’au début, le gouvernement chinois, eu égard à ces vaccins qui ont été mis au point très vite - généralement pour mettre au point un vaccin, il faut au moins dix ans, mais cette fois-ci moins d’un an, donc la sécurité n’était pas entièrement assurée - le gouvernement chinois pense que c’est plus sécuritaire de vacciner tout d’abord les jeunes adultes. Pour les personnes âgées, il faut être très prudent. D’ailleurs, les jeunes adultes doivent travailler. Les vacciner tout d’abord, c’est pour mieux faire le travail. C’est effectivement une approche différente. En Occident, on vaccine tout d’abord les personnes âgées. Il y a des avantages et des inconvénients pour les deux approches.

Q : Est-ce qu’il n’y avait pas quand même une réticence contre les vaccins ?

R : Il y en a, surtout parmi les personnes âgées.

Q : Vous avez reçu quel vaccin ?

R : Je me suis inoculé ici, avec des vaccins Pfizer. Beaucoup de mes collègues sont vaccinés avec à la fois des vaccins chinois à virus inactivé et Pfizer.

Q : Est-ce que les enquêtes sur d’où est venu ce virus ont avancé ? Et deuxièmement, dans votre scénario, vous avez pointé la responsabilité des gouvernements locaux. Est-ce que ce n’est pas un peu commode ? Parce qu’on a déjà entendu par le passé ce genre d’explications. Si on va au bout de votre scénario, ça veut dire qu’éventuellement des autorités locales auraient pu être de mèche, complaisantes envers les forces extérieures. Est-ce que ça augure des rééquilibrages entre les pouvoirs locaux et central chinois ? Est-ce qu’elles veulent défier le gouvernement central ? Ou est-ce qu’ils sont en opposition entre eux ?

R : Pour la deuxième question, il n’y a pas de « défi ». Il y a la mal-interprétation des politiques du gouvernement central par certains gouvernements locaux. Certains gouvernements locaux ont une logique fixe. Quand le gouvernement central a sorti les vingt mesures, ils n’en ont pas saisi l’essentiel.

Q : Ils n’ont pas compris, ou ils ont voulu faire du zèle, en rajouter ? Ils ont eu peur d’assouplir les mesures ?

R : Il y a aussi cet aspect-là. Ils ne sont pas sûrs s’ils ont bien compris les vraies mesures. Auparavant, la logique de la politique, c’est de maîtriser et contrôler strictement. Cette fois-ci, quand le gouvernement central leur demande d’assouplir les mesures, ils ne pouvaient pas tout de suite bien comprendre.

Pour la première question, en fait, la Chine a déjà bien expliqué la question des origines du virus. Nous avons invité à deux reprises le groupe d’experts de l’OMS à visiter la Chine pour faire la recherche scientifique sur les origines du virus. Surtout la deuxième fois, pendant plus d’un mois, les experts de l’OMS ont visité les endroits qu’ils veulent visiter, rencontré les personnes qu’ils veulent rencontrer, et vu les documents qu’ils veulent étudier. À la fin de cette visite, le chef du groupe d’experts a déclaré qu’ils sont très satisfaits de cette visite. La conclusion de leur visite est qu’il est « extrêmement peu probable » que le virus ait fui des laboratoires chinois.

Mais de l’autre côté, les Américains ne sont pas satisfaits. Ils créent toujours des rumeurs et des fake news pour affirmer que le virus a fui des laboratoires chinois. Ils disent que l’OMS doit encore faire l’« enquête » sur la Chine. Mais en réalité, à partir de la mi-2019, aux États-Unis et en Europe, il y avait déjà des cas de la COVID-19. Au début de l’année 2020, on a fait des recherches rétrospectives des cas de l’automne 2019 aux États-Unis et en Europe. On a découvert que ces cas-là étaient en fait la COVID-19.

Q : Il y avait aussi des jeux militaires à Wuhan en octobre.

R : Au mois de juillet 2019, aux États-Unis, un laboratoire de l’armée qui s’appelle Fort Detrick a connu des accidents et a été fermé. Tout de suite, dans la région, il y avait des cas de maladie pneumonique. À ce temps-là, on ne connaissait pas ce que c’est cette maladie. Mais après, le chef du CDC américain a reconnu au mois de mars 2020 au Parlement américain que c’étaient des cas de coronavirus.

En octobre, il y avait des jeux militaires à Wuhan. Les États-Unis y ont envoyé une grande délégation. L’armée américaine est la plus puissante et la plus forte du monde, mais à ces jeux-là, connaissez-vous quels étaient les scores de la délégation américaine ?  

Q : Non. Les plus bas ?

R : Aucune médaille d’or. Dans le palmarès, ils se rangeaient au-delà de la 30ᵉ place. C’est bizarre.

Q : Est-ce qu’ils étaient malades ? Tous malades ?

R : Cinq athlètes militaires américains étaient malades. Ils ont été remportés par l’avion spécial. C’était au mois d’octobre. Mais deux mois après, on a découvert des cas à Wuhan. Tout le monde le sait, le coronavirus a une période d’incubation d’au moins deux semaines. On ne peut pas dire que c’est parce qu’à Wuhan il y avait déjà le virus que les athlètes militaires américains n’ont pas gagné un bon score. Sinon, tout de suite arrivés, ils étaient contaminés ?

Q : Donc ce sont les Américains qui ont importé le virus en Chine ?

R : Vous pouvez analyser et obtenir la conclusion. Je fournis seulement des preuves.

Q : On va passer sur Russie-Ukraine. Est-ce que vous pouvez nous dire les impacts négatifs et positifs de la guerre en Ukraine pour la Chine ?

R : Il n’y a pas d’aspects positifs, seulement des impacts négatifs. Parce que la Chine ne veut en aucun cas la guerre. Elle est pour la plupart du temps la victime de la guerre. C’est pourquoi depuis le début de la crise ukrainienne, nous préconisons toujours de régler la crise par voie pacifique de négociation. Le Président XI Jinping, lorsqu’il s’est entretenu au téléphone avec le Président Poutine, le Président Macron ou d’autres dirigeants européens, même le Président américain, il affirmait toujours cette position constante du gouvernement chinois.

Q : Ce qui est étonnant, c’est le soutien apporté par la Chine à la Russie, un soutien qui se manifeste au Conseil de Sécurité de l’ONU, qui se manifeste par la non-participation à l’embargo. Et quand je parlais d’un impact positif, on sait que la Chine importe beaucoup d’hydrocarbures à des prix beaucoup plus bas qu’auparavant. Quand même c’est assez positif. Vous dites que la Chine est contre la guerre, mais en même temps elle soutient l’agresseur. Comment expliquez-vous ça ?

R : Parce que nous avons différentes perceptions de cette crise. Nous pensons qu’il faut tenir compte des tenants et des aboutissants de l’affaire. Il faut s’attaquer à la racine du problème pour trouver la bonne solution. Les Occidentaux ne comprennent pas et saisissent seulement le début de la crise, c’est-à-dire l’« invasion » de la Russie en Ukraine. Mais qu’est-ce qui a entraîné la crise ? Vous connaissez très bien. Je n’ai pas besoin d’y revenir en détail. Ce sont les cinq cycles d’expansion de l’OTAN qui ont causé des préoccupations de sécurité de la part de la Russie. Et ça, le Président Poutine a évoqué à maintes reprises à l’OTAN. En 2008, même le Président Sarkozy et la chancelière Merkel se sont opposés à l’expansion de l’OTAN en Ukraine, mais les Américains insistaient. Surtout en novembre de l’année dernière, les Américains ont fait une provocation en signant avec les Ukrainiens une déclaration commune pour leur promettre d’adhérer à l’OTAN, ce qui a provoqué les Russes. Donc il faut s’attaquer à la racine. On dit que les Américains n’ont pas recouru à la force. C’est vrai. Mais les Américains et les Européens considèrent Huawei comme une menace de sécurité, alors l’expansion de l’OTAN n’est pas une menace de sécurité ? Il faut être honnête.

Un autre aspect de votre question. Est-ce que la Chine a soutenu la Russie ? La Chine reste neutre. On n’est pas d’accord de résoudre le problème par voie de force. On souhaite résoudre la crise par voie de négociation. Et la Chine n’a pas fourni de soutiens matériels, encore moins militaires à la Russie. Bien sûr, la Chine a racheté plus de pétrole et de gaz à la Russie, mais c’est parce que les Européens ne veulent plus le pétrole et le gaz de la Russie.

Q : C’est un effet d’aubaine.

R : Ce n’est pas nous qui voulons acheter beaucoup.

Q : Quelques mois avant la guerre, il y avait un communiqué sino-russe pour annoncer un partenariat « sans limites » entre la Russie et la Chine. Aujourd’hui avec la crise est-ce que ce partenariat a des limites ? Quelles sont les limites, quelles sont les lignes rouges pour la Chine, à partir de ces limites il faut essayer de changer la nature de relations avec la Russie ?

R : Le partenariat stratégique global de coordination sino-russe est sans limites.  Cela veut dire qu’on fait la coopération dans tous les domaines.

Q : La guerre n’a pas ébranlé ce partenariat ?

R : Nous avons des relations normales entre États. Nous sommes tous des pays souverains, nous avons le droit de faire notre coopération dans tous les domaines. Mais cette coopération n’est pas sans ligne de bas, c’est pourquoi jusqu’à maintenant la Chine n’a pas fourni des armes à la Russie.

Q : La Russie en a demandé ?

R : La Russie n’en a pas demandé non plus. Les Russes connaissent aussi la ligne de bas. En revanche, on voit que les Américains, d’une part, semblent encourager la négociation entre les Russes et les Ukrainiens, mais de l’autre, ne cessent jamais de fournir des armements. C’est plutôt jeter de l’huile sur le feu.

Je me rappelle qu’à la fin du mois de mars, les Russes et les Ukrainiens auraient parvenu à conclure leurs négociations. Mais tout de suite, il s’est passé quelque chose que je ne veux pas évoquer. Vous le connaissez très bien, et cela a détruit leurs négociations. On peut imaginer si, à la fin du mois de mars, les deux parties étaient tombées d’accord sur les pourparlers de paix, les deux lignes du gazoduc Nord Stream n’auraient pas dû exploser, et l’Europe serait réalimentée par le gaz de la Russie et s’affranchirait de la crise énergétique. Le sabotage des pourparlers de paix est dans l’intérêt de qui ? Vous pouvez imaginer.

Q : Qu’est-ce qui serait pour la diplomatie chinoise les bases plausibles d’une négociation aujourd’hui ? Parce qu’on sait que la diplomatie chinoise est très attachée au principe de respect de la souveraineté territoriale des États, donc elle ne peut pas se satisfaire de l’invasion russe. Qu’est-ce qui pourrait constituer les bases d’une négociation possible sur le Donbass, sur la Crimée, sur le statut de l’Ukraine, etc.? Qu’est-ce qui serait pour vous plausible ?

R : Il faut revenir à la racine de la crise. Parce que tout le monde ont des préoccupations et intérêts là-dedans. Pour la Russie, ils en ont, pour l’Ukraine, ils en ont aussi. On dit qu’à partir de 2014, il y avait une crise humanitaire à Donbass. Une journaliste française qui s’appelle Anne-Laure Bonnel a fait un documentaire sur le Donbass, mais ce documentaire a été bloqué en France.

Q : Donc ?

R : Il faut réfléchir quelle est la cause de la crise.

Q : D’accord. Mais maintenant qu’est-ce qu’on peut faire concrètement ?

R : On est déjà à ce stade de la crise. On ne peut pas s’accrocher à qui a raison et qui a tort. On doit se mettre tout d’abord sur la table de négociation et tous les problèmes peuvent y être délibérés.

Q : On peut toucher aux frontières ?

R : Oui, ce problème peut être délibéré sur la table. Vous dites que la frontière de l’Ukraine ne doit pas être violée et qu’il faut la rétablir. Alors comment faire ? On continue le combat, continuer à battre à plate couture les Russes ? Chasser l’armée russe ? Et après on négocie. Là ce n’est pas la peine de négocier. L’Ukraine a déjà gagné la guerre.

Q : Si on négocie dans la situation présente, on prend acte de la force de Poutine, de son intervention et de son invasion, pour ensuite le cas échéant redessiner des frontières, donc c’est lui donner satisfaction.

R : C’est le problème. C’est pourquoi j’ai dit tout à l’heure que si on encouragait de manière que les négociations de la fin du mars aboutisse à un résultat...

Q : Ça n’a pas marché.

R : Alors maintenant, on doit tout d’abord s’asseoir à la table pour reconduire les négociations.

Q : Le principe de redessiner les frontières ne gouverne pas ?

R : Vous pouvez délibérer sur la table pour accuser les Russes d’avoir violé la frontière de l’Ukraine. Si on ne s’assoit pas sur la table, comment on se parle ? D’ailleurs, il y a un point très important. Il faut être cohérent. Les Occidentaux ont défendu si vigoureusement la souveraineté territoriale de l’Ukraine. Mais en d’autres temps, quand l’armée américaine a envahi l’Irak, l’Afghanistan, la Libye et surtout bombardé l’ex-Yougoslavie, vous n’étiez pas comme ça. Quelle a été la position des pays occidentaux ? La France a été contre l’invasion des Américains en Irak, mais pour la guerre de Libye ? Donc il faut être cohérent. Si vous défendez la souveraineté et l’intégrité territoriale des autres pays, il faut être sur la même position, y compris sur la question de Taiwan de la Chine. Il ne faut pas encourager les activités sécessionnistes  des clans séparatistes de Taiwan.

Q : Cette guerre est pour la Chine un frein ou c’est un accélérateur ? Le Président XI Jinping est aujourd’hui en Arabie Saoudite, pays sur les routes de la soie avec qui la Chine a tous ces intérêts économiques. Avant vous travailliez avec les Russes, et aujourd’hui on voit qu’il y a des choses sur lesquelles vous avancez seuls, faites des contrats seuls et faites de la diplomatie seuls. Est-ce que finalement vous êtes en partie libérés de Poutine ? La Russie est plus faible et ça ouvre des horizons et des espaces à la Chine.

R : Ce n’est pas comme ça. La Chine et la Russie ont fait la coopération dans le cadre de différents mécanismes, par exemple le BRICS et l’OCS. Nous avons plusieurs mécanismes de coopération pour agir ensemble, mais cette fois-ci, la visite du Président XI Jinping en Arabie Saoudite est une activité diplomatique chinoise. Pas la peine d’appeler le Président Poutine de venir ensemble.

Q : Il y aura des contrats pétroliers ?

R : Ce n’est pas le sujet majeur, parce que depuis longtemps on avait des contrats pétroliers avec l’Arabie Saoudite, qui était le premier fournisseur du pétrole de la Chine. Cette visite est pour le renforcement de la coopération globale entre la Chine et le monde arabe. Nous avons un forum de coopération sino-arabe qui a été établi depuis plus de dix ans. Mais cette fois-ci, c’est la première fois que les deux parties ont tenu un sommet. C’est dû à la transformation du contexte international que les deux parties considèrent qu’il faut tenir un sommet pour renforcer encore plus la coopération bilatérale. C’est toujours pour la paix et le développement du monde et de la région. C’est dans l’intérêt des deux parties.

Q : La Chine était un des premiers partenaires commerciaux pour l’Ukraine. Vous avez des contacts avec le Président Zelensky ? Est-ce que vous pourriez être un des intermédiaires comme les Turcs ?

R : La Chine était un partenaire très étroit de l’Ukraine sur le plan économique et commercial. Avant la crise, une entreprise chinoise privée a acheté une entreprise ukrainienne de fabrication des moteurs d’avion. Mais malheureusement, le gouvernement ukrainien a annulé ce projet.

Q : Avant la guerre ?

R : Avant la guerre. Cela a causé beaucoup de dégâts à l’entreprise chinoise à un montant de plus de 4,5 milliards de dollars, parce que l’entreprise chinoise a beaucoup dépensé pour redémarrer cette entreprise ukrainienne. Mais le gouvernement ukrainien, sur l’indication du gouvernement américain, a annulé ce contrat sans aucune raison et seulement sous prétexte de la sécurité nationale. La sécurité nationale devient un fourre-tout. Cela cause des problèmes dans la coopération bilatérale. Mais malgré cela, après l’éclatement de la crise, le gouvernement chinois a encore fourni des aides humanitaires au gouvernement ukrainien. Nous considérons tous les pays du monde comme ami et nous développons les relations de coopération sur une base d’égalité avec eux. C’est pourquoi sur la question ukrainienne notre position réside surtout dans quatre points. Premièrement, la souveraineté et l’intégrité territoriale de tous les pays doivent être respectées. Deuxièmement, les buts et principes de la Charte des Nations Unies doivent être observés. Troisièmement, les préoccupations de sécurité légitimes de tous les pays doivent être prises en compte. Et quatrièmement, tous les efforts visant à régler pacifiquement la crise doivent être soutenus. Notre position est très intégrée.

Q : Sur l’existence de contact avec Zelensky...

R : Pour le moment, je pense que la Chine n’a pas de moyen de mettre les deux côtés ensemble. Nous ne sommes pas partie prenante. Et surtout, il faut que les parties prenantes, y compris les Américains, les Européens, les Russes et les Ukrainiens, aient la vraie volonté de résoudre pacifiquement le problème.

Q : Mais ça pourrait être un souhait à un moment donné que la Chine se pose en médiateur ou participe aux garanties de sécurité ? C’est aussi l’un des enjeux. Si l’Ukraine ne fait pas partie de l’OTAN, elle demandera des garanties de sécurité pour se protéger d’une nouvelle invasion russe. Est-ce que la Chine est intéressée de faire partie des pays qui donneraient ces garanties ?

R : Cela dépend de quel format. Si on négocie et est d’accord que les grandes puissances, par exemple les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU accordent une garantie de sécurité à l’Ukraine...Il y a bien sûr d’autres formats, par exemple une garantie commune de la Russie et de l’OTAN qui est plus efficace et pratique. On n’est pas contre, on est ouvert.

Q : La Russie avait garanti l’intégrité de l’Ukraine et reconnu ses frontières. Mais elle n’a pas respecté les accords qui ont été signés.

R : La manière de la Russie a de quoi rebuter. Elle aurait pu régler le problème sur la table de négociation.

Q : Qu’est-ce que vous pensez de l’implantation de l’usine de semi-conducteurs de Taiwan en Arizona où le Président Biden a fait une visite ? Si on est logique avec ce que vous dites, c’est surtout une bonne chose pour la Chine, parce que Taiwan, c’est la Chine. Donc ça vous permet de contourner les barrières protectionnistes américaines.

R : Ce n’est pas bon pour la Chine, ni pour l’Europe. Parce que les Américains veulent monopoliser la production des semi-conducteurs. C’est toujours « America first ». C’est le protectionnisme et quelque chose de bandit. C’est les Américains qui ont forcé TSMC de se déplacer aux États-Unis. Les Taiwanais ne veulent pas déplacer leurs usines aux États-Unis parce que les main-d’œuvre et matériels là-bas sont beaucoup plus chers qu’à Taiwan. Je pense que les usines installées aux États-Unis n’auront pas de compétitivité, parce que leurs produits seront vendus beaucoup plus cher qu’ailleurs. Il y a d’autres usines à Taiwan et la Chine accélère son rattrapage. Bien sûr, pour les puces de haut niveau, par exemple au-dessous de sept nanomètres, on ne peut pas les produire, parce qu’on n’a pas de machines lithographiques. C’est encore sous l’embargo des Américains. Les Hollandais veulent nous vendre ces machines-là, mais ils sont empêchés par les Américains. N’est-ce pas des agissements de bandits ?

Q : Mais la Ministre néerlandaise du Commerce extérieur et de la Coopération au développement avait dit qu’elle passerait outre, ce n’est pas le cas ?

R : Ce n’est pas le cas. Ce n’est pas pour ces machines de haut niveau, c’est pour les machines de bas niveau. La Chine peut les produire elle-même.

Q : Je vais revenir sur la visite du Président XI Jinping en Arabie Saoudite aujourd’hui. Est-ce que vous constatez une volonté saoudienne de sortir du giron américain et de cette alliance entre les États-Unis et l’Arabie saoudite ? Étant donné le refus du prince héritier Mohammed ben Salmane et de son père le roi Salmane de céder aux injonctions américaines sur l’augmentation de la production du pétrole. Est-ce que vous en félicitez ? Deuxième question sur la crise actuelle en Iran. Je voudrais savoir votre analyse de ce qui se passe actuellement et les événements qui secouent l’Iran. Est-ce qu’il s’agit, comme le dit le guide suprême de la Révolution l’ayatollah Khamenei, d’une émeute fomentée par les États-Unis et Israël ? Ou au contraire, comme le souligne le Président français Macron, d’une révolution portée par les femmes avec des valeurs universalistes partagées notamment par la France et les pays de l’Occident ?

R : D’abord, que l’Arabie Saoudite sorte du giron des Américains ou pas, ce n’est pas ce dont la Chine est préoccupée. L’Arabie saoudite est un pays souverain qui a toute sa capacité de décider de son propre destin. Pas la peine pour la Chine de jaser sur ses affaires intérieures. Pour l’Iran, c’est la même chose. C’est à l’Iran et au peuple iranien de décider de leur propre destin. Il vaut mieux que les pays étrangers ne s’ingèrent pas dans ses affaires intérieures. Un pays sans ingérence extérieure peut se développer très bien. Vous pouvez voir que l’Iran est effectivement le pays le plus démocratique au Moyen-Orient qui tient régulièrement des élections démocratiques. À part l’Iran, ce sont des monarchies. Il vous faut être satisfaits.

Q : Si vous posez la question, il y a effectivement des élections républicaines au suffrage universel en Iran, mais la condition est quand même que les candidats soient favorables premièrement aux islamistes. Les dernières élections Présidentielles qui ont vu la victoire du Président Ebrahim Raïssi ont également vu la disqualification préalable de nombreux candidats réformateurs modérés.

R : Mais il y avait eu un Président modéré que les Occidentaux aiment. C’est la démocratie. Tantôt il y a un Président rigide, tantôt il y a un Président modéré. C’est normal.

Q : Ce qui arrive actuellement en Iran, est-ce que vous voyez la main des forces extérieures ou plutôt une crise intérieure ?

R : Personnellement, je pense qu’il y a certainement la main extérieure, parce que vous dites toujours que c’est une révolution. C’est quoi la révolution ? C’est une révolution de couleur.

Q : Et ça vous fait peur, pour la Chine ?

R : Ça ne nous fait pas peur, parce que nous avons plein de capacité de résister à ces tentatives de lancer des révolutions de couleur en Chine.

Q : Pardon Monsieur l’Ambassadeur, mais vous avez l’air très attaché à la démocratie. Est-ce qu’on peut imaginer qu’en Chine il y ait un candidat qui n’appartient pas au Parti communiste et qu’il soit élu Président du pays ?

R : En Chine, nous pratiquons la démocratie populaire intégrale. Cette démocratie est peut-être différente de la vôtre, mais c’est la nôtre. Elle s’adapte à la réalité de la Chine et est plus riche que la démocratie occidentale. Nous avons non seulement les élections, mais aussi des consultations. Après les élections, il y a aussi la démocratie de la gestion, de l’administration et de la supervision du peuple sur le gouvernement. Mais bien sûr, cette démocratie n’est pas encore parfaite. On la perfectionne toujours, tant sur le plan de la forme que sur le plan du fond. Avec le temps, je pense que la démocratie populaire intégrale de la Chine connaîtra un développement encore plus grand et sera de plus en plus accueillie par le peuple chinois.

Est-ce qu’on peut avoir des candidats d’autres partis ? En effet, tant au gouvernement central qu’aux gouvernements locaux, il y a des membres qui ne sont pas membres du Parti communiste chinois. Parce qu’en Chine, à part le PCC, nous avons encore huit partis démocratiques qui ne sont pas partis d’opposition mais partis de coopération avec le PCC, ce qui est originaire de notre histoire. Tous les membres de ces partis démocratiques peuvent se poser comme candidats dans les élections de députés. Au niveau du district, les élections sont au suffrage direct. Au-dessus du niveau du district, à savoir municipal, provincial et national, ce sont des élections indirectes. Ça veut dire que les députés de ces niveaux-là sont élus par ceux des niveaux inférieurs. C’est notre système, c’est différent du vôtre. Mais dans votre système, il y a aussi des élections indirectes.

Q : J’aimerais qu’on dise quelques mots sur la relation bilatérale. Est-ce que vous confirmez la forte probabilité d’une visite du Président Macron au début de l’année prochaine en Chine ?

R : C’est sûr. Il y aura une visite.

Q : Est-ce qu’il y a un créneau de dates à envisager ? Est-ce que vous en savez un peu plus là-dessus ?

R : Je ne peux pas vous le dire parce que ce n’est pas défini.

Q : D’accord. Qu’est-ce qu’on peut attendre selon vous de ce déplacement ?

R : Je pense qu’avec cette visite d’État, les deux parties pourront discuter profondément et largement des sujets de coopération entre nos deux pays. Il faut atteindre beaucoup de consensus sur les différents sujets, tant sur la coopération bilatérale que sur la coopération multilatérale. La France est notre partenaire principal en Europe.

Q : Mais aussi l’Allemagne ?

R : L’Allemagne est aussi notre partenaire principal. Le chancelier allemand a fait une visite en Chine plus tôt que le Président français. Nous espérons que l’Europe sera un acteur indépendant dans les affaires internationales au lieu d’être alignée sur les Américains. Ce n’est pas dans votre intérêt, à vrai dire. M. Kissinger a dit, être ennemi des États-Unis est dangereux, mais être allié des États-Unis est mortifère.

Q : Vous regrettez qu’il ne soit pas venu avec le chancelier allemand simultanément ?

R : Cela dépend des deux dirigeants. S’ils veulent venir en Chine ensemble, c’est bon. S’ils veulent venir séparément, c’est aussi bien.

Q : Est-ce que les dissensions qu’on sent en Europe actuellement et notamment entre la France et l’Allemagne ne sont pas quelque chose qui est intéressant pour la Chine et que vous jouez ?

R : Ça ne nous intéresse pas, les dissensions entre la France et l’Allemagne. Au contraire, nous souhaitons que la France et l’Allemagne s’unissent pour diriger et jouer le rôle majeur dans le processus d’intégration de l’UE. Mais maintenant on constate que le rôle de la France et de l’Allemagne se diminue.

Q : Au sein de l’Europe ?

R : Oui.

Q : Au profit de ?

R : Au profit des Américains.

Q : En Europe ?

R : Oui, les Américains est un acteur en Europe sans être un pays européen.

Q : M. l’Ambassadeur. Il faut comprendre que la politique de la Chine, soit la politique étrangère, politique économique ou partenariat commercial, il faut toujours regarder ça à travers un seul prisme aujourd’hui : la concurrence avec les Américains. Ça veut dire qu’il faut toujours mettre ça comme arrière-plan. Est-ce que c’est la relation avec les États-Unis qui détermine votre politique ?

R : Non, pas du tout. La Chine décide de sa politique étrangère elle-même. Pas du tout par les Américains.

Q : Ou en fonction de leur politique ?

R : Non, pas en fonction de la politique américaine.

Q : C’est une question de moyen terme pour la planification chinoise. Est-ce que vous avez comme objectif de combattre l’hégémonie du dollar dans les échanges internationaux ? Est-ce que le yuan RMB devrait devenir une référence, par exemple pour acheter le pétrole avec l’Arabie Saoudite ? Ou est-ce que vous avez une zone asiatique qui se développe ? Est-ce que ça fait partie de votre programmation ?

R : Le problème est que l’hégémonie du dollar nous malmène tout le monde, y compris l’Europe et la Chine. Par exemple, les Américains nous imposent toujours des sanctions sans aucune raison. Plus d’un millier d’entreprises chinoises de haute technologie sont sur la liste noire de sanctions, d’embargo et de blocus du gouvernement américain. Ce n’est pas juste. Alors dans ce cas-là, si on ne peut pas utiliser le dollar, on n’a qu’à utiliser notre propre monnaie : Yuan et euro.

Q : Avec l’Arabie Saoudite, il devait y avoir des contrats qui pouvaient être passés en yuan ?

R : Il y a déjà des contrats d’achat du pétrole payés en yuan.

Q : 100 % des achats ou en partie ?

R : Je ne sais pas si c’est 100 % ou pas, peut-être en partie.

Q : Sur l’idée européenne que la Chine est un partenaire et aussi un rival systémique, on est notamment sur le choc de deux modèles de valeurs : valeur démocratique et droits de l’homme d’un côté, et de l’autre, valeur chinoise. Est-ce que vous vous opposez à cette vision européenne ? Est-ce que vous dites que l’on est aussi partenaires, donc ce n’est pas grave si on est rivaux ? Est-ce que vous vous sentez rivaux aussi des Européens ?

R : Je pense que cette expression triptyque « partenaire, concurrent, rival systémique » est un paradoxe et un contresens. Parce que les Européens considèrent la Chine, d’une part comme partenaire, d’autre part comme rival systémique. Qu’est-ce que ça signifie un rival systémique ? Ça veut dire que nous sommes rivaux sur le plan du régime politique et social, des valeurs et de l’idéologie. Sur ces problèmes-là, les différences, même les divergences entre la Chine et l’Europe ne seront pas résolues. Aucune des deux parties ne peut pas convaincre l’autre. C’est pourquoi, pour nous les Chinois, puisque ces différences ne seront pas aplanies, il vaut mieux les mettre de côté, sans les laisser devenir un obstacle de notre coopération. Mais au contraire, les Européens veulent toujours toucher ces problèmes, ce qui a beaucoup détruit l’atmosphère de la coopération. Et d’ailleurs, comme je l’ai dit dans mon discours, tous les problèmes que les Européens ont touchés concernent les intérêts vitaux de la Chine.

Q : Les Ouïghours, Taiwan, le Tibet, la démocratie, les droits de l’homme, ce sont les intérêts vitaux ?

R : Oui bien sûr. Ce sont les affaires intérieures de la Chine. Je pense que l’Europe n’a pas le droit de s’y ingérer. Si on peut régler ce problème, c’est-à-dire mettre de côté les divergences entre nous deux, il y aura un grand potentiel et un grand espace de coopération. Pour les Chinois, c’est vraiment une question très simple, je ne peux pas comprendre pourquoi les Européens ne peuvent pas le comprendre.

Q : Les Européens sont bien placés pour savoir que les relations internationales dans l’histoire sont pour la plupart du temps, pour ne pas dire toujours, fondées sur des rapports de force, qui s’expriment sur le plan économique, militaire, politique, etc.. Est-ce que cette méfiance que les Européens ont à l’égard de la Chine n’est pas, d’une certaine manière, un hommage qui vous est rendu, qui est rendu à la subtilité chinoise ? Qui est une façon de prospérer dans le monde par des voies qui sont vraiment chinoises, comme « la Route de la soie » et tous les accords que vous avez signés sur le plan économique, parfois sur le plan politique, en Afrique, au Proche-Orient et dans d’autres régions du monde, y compris en Europe d’ailleurs ? Vous niez que le rapport de force est quelque chose qui régit les affaires du monde ?

R : À quoi cela aboutit, cet hommage vis-à-vis de la Chine ? Cela aboutit à la confrontation ou bien à la coopération ? Si c’est le deuxième, c’est bon pour nous.

Q : Coopération surveillée...

R : Surveillée par qui ?

Q : C’est-à-dire qu’il n’y a pas d’empiètement sur le plan politique ou économique.

R : Toutes les coopérations sont surveillées, parce qu’on doit veiller à ce que cette coopération soit dans ses propres intérêts.

Q : Des deux côtés ?

R : Des deux côtés. Au début de l’ouverture de la Chine sur l’extérieur, la Chine n’a pas eu l’animosité vis-à-vis de l’Europe en faisant la coopération avec elle. Nous n’avons pas eu cette triptyque considérant l’Europe comme notre partenaire, concurrent et rival systémique. Pour l’Europe, vous n’avez considéré non plus à ce moment-là la Chine comme un rival systémique. La Chine pratique un régime socialiste dirigé par le Parti communiste chinois. Cela ne date pas d’aujourd'hui, mais depuis plus de 70 ans. Pourquoi il y a des dizaines d’années, on n’a pas considéré la Chine comme rivale systémique ?

Q : À propos de la « Route de la soie » dont vous parliez à l’instant, où en êtes-vous dans ce projet immense qui vous a valu quelques déconvenues notamment en Afrique ? Parce que ce n’est pas toujours aussi simple d’implanter des infrastructures, de les faire financer et d’avoir des relations avec des États plus ou moins solides. Est-ce que c’est encore un axe majeur de la politique chinoise d’aujourd’hui ? Y a-t-il un projet politique derrière le projet économique ?

R : C’est un grand programme de coopération de la Chine avec les pays étrangers, avec n’importe quel pays. Pour le moment, ce sont surtout les pays en développement qui sont nos partenaires dans cette initiative. Il y a plus de 140 pays qui ont signé l’accord de coopération dans le cadre de l’initiative « la Ceinture et la Route ». Mais les pays occidentaux peuvent être notre partenaires dans ce cadre, y compris les pays européens.

Q : L’Italie par exemple.

R : Oui et aussi la Grèce. Mais la France n’a pas signé. Entre la Chine et l’Europe, nous avons établi des frets Chine-Europe qui relient la Chine et une vingtaine de pays européens et plus de 180 villes européennes. Chaque année, plus de 12 000 convois de fret font l’aller-retour entre la Chine et l’Europe. Je pense que c’est un très bon projet pour les deux parties. Effectivement, ce projet est exécuté dans le cadre de l’initiative « la Ceinture et la Route », même si nous n’avons pas signé officiellement l’accord de coopération. Et l’Afrique est notre partenaire principal dans ce cadre-là. En effet, beaucoup plus tôt avant l’exécution de l’initiative « la Ceinture et la Route », la coopération sino-africaine s’est déjà très bien développée. La Chine a mis en exécution beaucoup de projets d’infrastructures en Afrique dans le cadre du Forum sur la coopération sino-africaine qui tient une conférence tous les trois ans. Il y a un mécanisme propre pour la Chine et l’Afrique d’exécuter notre coopération. Maintenant il y a l’initiative « la Ceinture et la Route » qui fournit une nouvelle possibilité de coopération entre les deux parties.

Les pays occidentaux nous collent une étiquette « piège d’endettement tendu aux pays africains ». Ce n’est pas vrai. Parce que les dettes dues à la Chine par les pays africains représentent généralement 10 % de leur dette extérieure totale. La plupart de dettes des pays africains sont dues aux créanciers privés occidentaux et les institutions internationales. Des prêts et crédits gouvernementaux des pays occidentaux sont de moins en moins nombreux. Je n’ai pas de chiffre exact, peut-être cela ne représente pas beaucoup. Aujourd’hui, j’ai lu un article de les Échos sur les dettes des pays pauvres et à revenu intermédiaire. Ce sont les chiffres de la Banque mondiale. On dit que pour ces pays pauvres et à revenu intermédiaire, leur dette totale s’élève déjà à 9 000 milliards de dollars. Parmi ces 9 000 milliards, combien sont dus à des créanciers privés ? 61 %. Combien sont dus à des membres du Club de Paris, l’Europe et les États-Unis ? 32 %. Les deux représentent au total 93 %. Pour les pays non membre du Club de Paris, y compris la Chine, l’Inde, l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis, le total des dettes de ces pays s’élève à 138,3 milliards de dollars et représente seulement 1,5 %.

Q : Sauf que c’est bien vis-à-vis de la Chine que cet endettement augmente sur les dernières années, c’est ce que dit l’article aussi, c’est surtout vis-à-vis de la Chine que l’endettement s’accroît.

R : Cela augmente, c’est parce que la Chine fait plus que les autres pays. Même si on augemente, on ne dépasse pas 1,5 %. Et vous représentez combien ? 93 % !

Q : Vous connaissez notre pays depuis longtemps. Est-ce que la France va bien ? Et si elle ne va pas bien, de quoi est-ce qu’elle souffre ?

R : La France va bien aux yeux du peuple chinois. Le peuple chinois aime bien la France, et ce grâce au général de Gaulle.

Q : La France d’Emmanuel Macron, la France d’aujourd’hui que vous regardez, où vous vivez, où vous habitez, comment vous la voyez ?

R : La France, le gouvernement français, y compris le Président Macron, souhaitent d’être indépendants sur le plan international et de la stratégie internationale. Il essaie aussi de mener l’Union européenne dans le sens de l’autonomie stratégique et de l’intégration de l’Union. Ça, nous l’apprécions beaucoup et nous le voulons beaucoup. Nous espérons que la politique du gouvernement français et du Président Macron de poursuivre l’autonomie stratégique de l’Europe aboutira.

Q : Dans votre exposé préliminaire, vous avez indiqué un concept intéressant de « société de moyenne aisance ». Est-ce que vous pouvez nous dire à quoi ça correspond ? Est-ce que vous pouvez devant nous dire un grand merci à l’Organisation mondiale du Commerce ? Puisque depuis 20 ans vous en avez profité. Et inversement, les classes moyennes en Occident, en tout cas en Europe, se sont trouvées démunies. C’est pour ça tout d’un coup l’Europe a dit « rival systémique » et s’est réveillée il y a trois ou quatre ans pas plus. Alors est-ce que cette analyse, vous l’admettez ?

R : La moyenne aisance est une notion de culture traditionnelle de la Chine. Il y a plus de 2000 ans, nos ancêtres avaient un rêve d’avoir une société de moyenne aisance où toute la population se trouve en bons termes et passent une vie pas très riche mais assez agréable. Il n’y a pas de grande disparité entre riches et pauvres. Après la société de moyenne aisance, il y a encore la société de grande concorde, ce qui est un niveau plus élevé.

La société de moyenne aisance a été définie par M. DENG Xiaoping dans les années 80 du dernier siècle. À ce temps-là, la Chine n’a que commencé la réforme et l’ouverture sur l’extérieur. On se fixait une date de réaliser cet objectif. Au début, c’est à la fin du dernier siècle. Mais à ce temps-là, ce n’était pas une « société de moyenne aisance intégrale », mais une « société de moyenne aisance pour l’essentiel ». Donc ce n’est pas encore complet. C’est pourquoi, après, le parti a redéfini l’objectif pour qu’il soit réalisé au premier centenaire de la Chine, à savoir le centenaire de la fondation du Parti communiste chinois en 2021, pour avoir une société de moyenne aisance plus complète et plus intégrale. Ça veut dire que le niveau de vie de la population est beaucoup plus élevé. Effectivement, l’année dernière, le PIB par habitant en Chine a atteint 12 551 dollars. Cela frotte déjà le niveau des pays de revenu élevé. Voici l’objectif du premier centenaire. Nous avons encore l’objectif du deuxième centenaire. Ça veut dire que le centenaire de la fondation de la République populaire de Chine en 2049. Cet objectif est de faire de la Chine un pays socialiste moderne dans tous les domaines. Dans le rapport du 20ᵉ Congrès donné par le Secrétaire général XI Jinping, les critères et objectifs sont tous décrits.

Q : Justement un petit mot sur Taiwan, dont on n’a pas trop parlé. Quelle est la ligne rouge qui a été mentionnée dans le communiqué après la rencontre entre les deux Présidents américain et chinois ?  À quel moment la Chine considère que la ligne rouge est franchie ?

R : Les Américains et d’autres pays occidentaux ne doivent pas s’ingérer dans l’affaire de Taiwan, qui est l’affaire intérieure de la Chine et touche à ses intérêts vitaux. Notre ligne rouge est qu’on n’acceptera jamais l’indépendance de Taiwan. On accorde la priorité à la réunification pacifique. Mais si on ne peut pas réaliser cette réunification pacifique...

Q : Vous mettez où cette échéance ?

R : Il n’y a pas une échéance. Mais notre position est d’empêcher l’indépendance de Taiwan par tous les moyens.

Q : Sur l’Indo-Pacifique, avec la montée des Américains mais aussi de la France, une volonté de la France d’être partie prenante sur l’axe indopacifique. Quelle est la position de la Chine ? Comment vous voyez les affaires de la France et d’autres parties ?

R : En fait, sur le plan géopolitique, il n’existe jamais la notion Indo-Pacifique. C’est une notion fabriquée par les États-Unis, parce qu’auparavant on parlait toujours de la région pacifique ou Asie-Pacifique, jamais Indo-Pacifique. Pourquoi les Américains incluent l’océan indien ? C’est parce qu’ils pensent qu’ils ne peuvent pas endiguer la Chine uniquement avec leurs alliés en Asie-Pacifique. Ils veulent introduire l’Inde et d’autres pays alliés des États-Unis, par exemple la France qui se considère comme un pays indo-pacifique.

Q : Elle a tort de se considérer comme tel ?

R : Je pense qu’elle a tort de se considérer comme ça. C’est une mentalité de confrontation et de guerre froide. C’est ce à quoi nous nous opposons.



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